Recommandations face à l’épidémie Covid19

A la demande de la Conférence des Doyens des Facultés d’Odontologie, le Collège National des Chirurgiens-Dentistes universitaires en Santé Publique (CNCDUSP) a constitué un groupe de travail afin d’émettre des recommandations pour les soins bucco-dentaires dans le contexte d’épidémie au Coronavirus, au vu des risques spécifiques auxquels les praticiens sont confrontés. Ce groupe de travail a été constitué du Dr Damien OFFNER, Dr Elisabetta MERIGO, Pr Delphine TARDIVO, Pr Laurence LUPI et Pr Anne-Marie MUSSET, et a abouti à l’argumentaire suivant :

COVID-19 : données épidémiologiques

L’infection au COVID-19 est une maladie infectieuse, causée par un nouveau coronavirus apparu à Wuhan (Chine) en décembre 2019, conduisant à des symptômes tels que fièvre, fatigue et toux sèche et, moins fréquemment, douleurs, congestion ou écoulement nasal, maux de gorge et diarrhée [1].

A l’heure actuelle (données mises à jour le 15 mars 2020 à 21h20) 169202 patients positifs au COVID-19 ont été enregistrés dans le monde, dont 5423 en France. Il y a eu 6492 décès (127 en France). La progression est très rapide [2].
La population de patients atteints, décrite par Guan et coll. dans un article publié le 28 Février et mis à jour le 6 Mars dans le New England Journal Of Medicine, révèle que sur un total de 7736 patients ayant un âge médian de 47 ans (l’étendue interquartile variant de 35 à 58), 0,9% avaient moins de 15 ans et 3.5% étaient des professionnels de santé [3].

La fièvre était déjà présente chez 43,8% des patients au moment de l’admission à l’hôpital mais 88.7% ont été fébriles en cours d’hospitalisation. Le deuxième symptôme le plus courant était la toux (67,8%). Au sein de la population touchée, 23,7% des sujets présentaient au moins une co-morbidité (comme l’hypertension) [3].

Li et coll. ont estimé la période d’incubation moyenne à 5,2 jours ([4,1-7,0]95%), avec un 95e percentile de la distribution situé à 12,5 jours ([9,2-18]95%). La courbe épidémique présente un taux de croissance de 0,10 par jour ([0,05-0,16]95%) et un temps de doublement de 7,4 jours ([4,2-14]95%). Le R0* est estimé à 2,2 ([1,4-3,9]95%), donc chaque patient peut potentiellement contaminer en moyenne 2.2 personnes [4]. La valeur estimée par l’OMS dans son dernier rapport varie entre 2 et 2.5 [5] et celle publiée récemment dans Lancet varie entre 1.6 et 2.6 [6].

Dans une lettre au Directeur du New England Journal of Medicine publiée le 5 Mars 2020 Rothe et coll. ont décrit la (probable) première transmission du virus hors de Chine, à la fin du mois de Janvier en Allemagne : le patient allemand évalué comme positif avait 33 ans, il avait eu un contact avec une consœur chinoise pendant une réunion de travail, les deux sujets étant, à ce moment-là, asymptomatiques [7].

Spécificités des soins dentaires

Compte tenu des caractéristiques propres aux soins dentaires, le risque de contamination au SARS-CoV-2 (dit Covid-19) entre praticiens et patients peut être élevé [8,9], d’autant plus que les contaminations par divers virus au cabinet dentaire sont généralement sous- évaluées car les périodes d’incubation peuvent être longues et le pathogène peut ne pas déclencher de symptômes [10]. Ceci n’est pas le cas pour le Covid-19, pour lequel les données épidémiologiques, les symptômes et les conséquences en termes de santé publique ont été présentés.

En effet, pour une grande majorité des patients pris en charge, le chirurgien-dentiste pratique des gestes chirurgicaux invasifs avec un risque de contamination important, dû à la nature même de son activité. Les porte-instruments dynamiques génèrent des aérosols (air comprimé + eau à haute pression : 5 bars) pour refroidir les outils de coupe qui peuvent aller jusqu’à 800.000 tours/minute [11]. Sous l’effet de la pression, les aérosols projetés dans la cavité buccale se contaminent au contact de la flore présente sur les surfaces dentaires et les muqueuses ainsi que par du sang, du pus, de la salive associés aux aérosols pulmonaires. Ainsi, même des pathogènes à diffusion hématogène (« bloodborne pathogens ») peuvent devenir à diffusion aéroportée (« airborne ») quand ils entrent en contact avec le spray généré par les instruments à haute vélocité du chirurgien-dentiste [8,12-14]. De nombreux gestes de soins dentaires produisent des aérosols contaminés par divers virus [15].

On appelle classiquement « aérosols » des particules en suspension dans un gaz, comme par exemple des gouttelettes dans l’air [12]. Ces gouttelettes dans les aérosols peuvent avoir des tailles variables, de moins de 5 μm (on les appelle alors droplet nuclei) jusqu’à 10 ou 20 μm. Au-delà, ce sont des gouttelettes qui ne restent en général pas en suspension dans l’air mais qui sont tout de même produites par les instruments dynamiques du chirurgien-dentiste. Les particules de moins de 5μm pénètrent directement les voies aériennes supérieures et progressent jusqu’aux espace alvéolaires pulmonaires [12].

Les voies de transmission du Covid-19 sont la transmission directe (toux, éternuements et inhalation de gouttelettes) et la transmission par contact des muqueuses nasales, buccales et oculaires. Des études ont montré que les virus respiratoires peuvent être transmis de personne à personne par contact direct ou indirect, à travers des gouttelettes de grande ou petite taille, et directement ou indirectement à travers la salive [9].

Pour des coronavirus (SARS-CoV et MERS-CoV par exemple), des voies de transmission aéroportées ont déjà été décrites, par le biais d’aérosols contenant des particules droplet nuclei-like [12,16], donc d’une taille inférieure à 5 μm. Ces voies, notamment lors de procédures médicales, ont été décrites également pour le Covid-19, dont la présence a été montrée dans la salive [9,17,18]. Les masques chirurgicaux quant à eux ne protègent pas contre les agents infectieux transmissibles par voie aérienne de moins de 20 μm [12], voire même de moins de 5 μm [19]. Les aérosols produits lors des soins dentaires sont projetés en dehors de la cavité buccale dans un rayon de 1,5 m. De par la nature de ses soins, le visage du chirurgien-dentiste est souvent très proche (20 à 30 cm) de la source des projections et des voies respiratoires des patients, étant alors en contact très étroit avec ces particules aérosolisées pendant des périodes pouvant aller jusqu’à 30min pour la gestion d’une urgence.

Kampf et collaborateurs décrivent la survie du Coronavirus sur différents types de matériaux, où il peut rester infectieux de 2 heures à 9 jours [20].
Une estimation des professionnels ayant le plus de risques de contracter le Covid-19 place les chirurgiens-dentistes dans les 5 professions les plus exposées, avec les assistantes dentaires et les hygiénistes dentaires [21].

Mesures de protection

En période d’épidémie de Covid-19, plusieurs mesures concernant les soins dentaires s’imposent alors. La première, et à l’instar d’autres disciplines médicales, est de déprogrammer l’ensemble des consultations et soins programmés [8]. Ceci, en diminuant le flux de patients, réduit les risques de contamination en réduisant tout simplement le nombre d’actes producteurs d’aérosols septiques ainsi que les risques de transmission entre personnes. Toutefois, se pose la question des urgences dentaires, qui sont reconnues comme étant très douloureuses : la douleur associée à une pulpite irréversible par exemple est estimée en moyenne à 7,5/10 sur une échelle numérique d’évaluation de la douleur [22,23]. D’autre part, les infections bucco-dentaires génèrent un affaiblissement de l’état général des patients qui de ce fait seront plus vulnérables dans la lutte contre le virus.

La mise en place de certaines mesures générales préconisées dans la littérature demande d’organiser les structures d’accueil :

  • –  Mettre en place un circuit d’évaluation du patient à son arrivée dans un centre de soins, par le biais d’un questionnaire et d’une prise de température [8,9]. Ceci implique que chaque service d’urgences dentaires doit être équipé de thermomètres frontaux.
  • –  Limiter l’entrée au centre de soins au seul patient algique, ou à un seul accompagnateur adulte si le patient est un enfant [8]
  • –  Renforcer l’application régulière de l’hygiène des mains [8,9]
  • –  Demander à chaque patient de réaliser un bain de bouche préalablement à tout acte,utilisant préférentiellement une solution de peroxyde d’hydrogène à 1% ou depovidone à 0.2%. En effet, le virus y serait plus sensible qu’à la chlorhexidine. [9]
  • –  Favoriser les actes non générateurs d’aérosols quand ceci est possible [8]
  • –  Chaque fois que possible et si l’emploi d’instruments dynamiques est indispensable,utiliser une digue dentaire pour un acte générateur d’aérosols [8,9]
  • –  Si l’emploi d’instruments dynamiques est indispensable, travailler avec une aspirationà haute vélocité au plus près du soin afin de limiter l’aérobiocontamination [8]
  • –  Renforcer l’application régulière de la désinfection des surfaces de travail [8]
  • –  Porter une tenue de travail réservée à l’activité de soins, avec des équipements deprotection individuelle (EPI) tels que: lunettes de protection ou visière, gants,charlotte, appareils de protection respiratoire (APR) de type FFP2 [8]
  • –  Définir des zones d’accueil/évaluation des patients, des zones de soins de patients non à risque, et des salles fermées pour le soin de patients à risque ou diagnostiquéspositifs au Covid-19 [8].Concernant les soins de patients à risque ou diagnostiqués positifs au Covid-19, des mesures supplémentaires doivent être prises dans les salles fermées, comme :
  • –  Avoir des surfaces de travail vides de toute boîte/stock… et protégées d’un champ de protection
  • –  Recouvrir les éventuels équipements informatiques d’un champ de protection
  • –  Aérer largement la pièce à la fin du soin
  • –  Désinfecter précautionneusement toutes les surfaces à la fin du soin
  • –  Porter une surblouse à manche longue resserrée aux poignets
  • –  Limiter la présence dans la salle à deux personnels soignants
  • –  Porter les EPI mentionnés ci-dessus : lunettes de protection/visière, gants, charlotte,APR de type FFP2L’accent est régulièrement mis sur le port d’APR de type FFP2 pour plusieurs raisons. La première est celle qui a été énoncée ci-dessus : les soins dentaires sont générateurs d’aérosols septiques contenant de très petites particules qui ne sont pas arrêtées par les masques chirurgicaux classiques. Ces particules peuvent être porteuses du Covid-19. « Les APR sont destinés à protéger celui qui les porte contre l’inhalation d’agents infectieux transmissibles dans des situations à risque telles que tuberculose, SRAS, grippe aviaire » (DGS, 2006) [26]. Les patients atteints du Covid-19 pouvant être contagieux même sans présenter de symptômes, il convient de pouvoir porter des APR de type FFP2 pour chacun d’entre eux dans un contexte d’épidémie et de volonté de contrôler celle-ci en protégeant les personnels de soins [8]. De plus, les enfants peuvent être infectés par le virus et ne présentent en général pas de symptômes. La détection même du virus est parfois difficile, si bien qu’un enfant testé négativement peut tout de même être porteur du virus et vecteur de contamination [27].

    Le port d’APR de type FFP2, comme des autres EPI, s’impose donc pour tout patient consultant en situation d’urgence dentaire durant la période d’épidémie au Covid-19.

    * Le R0 ou taux de reproduction du virus permet de connaître le nombre moyen de personnes qu’une personne contagieuse pourrait infecter et se calcule à partir d’une population qui est entièrement susceptible d’être infectée.
    Le R0 se calcule sur la base de trois facteurs : R0= transmissibilité x le nombre de contacts sociaux x durée de la période contagieuse
    La transmissibilité est la probabilité de transmission d’une maladie et est un facteur très dépendant du niveau d’hygiène d’une population (ex: lavage de mains, port de masque).

    Le nombre de contacts sociaux ou nombre de contact direct qu’ont les gens entre eux (ex : se faire la bise, se serrer la main, …) contrôlable, par exemple, en prenant des mesures de précaution telles que la fermeture des lieux publics ou le placement en quarantaine des personnes infectées.
    La durée de la période contagieuse, facteur dépendante du virus, et peut-être de l’âge de la personne contaminée (adulte ou enfant): plus cette période est longue, plus la probabilité de contaminer de nouvelles personnes est grande.

    Références

    1. https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for- public/q-a-coronaviruses
    2. https://worldometers.info/coronavirus/
    3. Guan WJ, Ni ZY, Hu Y, et al. Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 inChina. N Engl J Med 2020. doi:10.1056/NEJMoa2002032
    4. Li Q, Guan X, Wu P, et al. Early Transmission Dynamics in Wuhan, China, of NovelCoronavirus-Infected Pneumonia. N Engl J Med 2020. doi:10.1056/NEJMoa2001316
    5. Report of the WHO-China on Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), 16-24 February2020)
    6. Kucharski AJ, Russell TW, Diamond C, et al. Early dynamics of transmission andcontrol of COVID-19: a mathematical modelling study. Lancet Infect Dis 2020.doi:10.1016/S1473-3099(20)30144-4
    7. Rothe C, Schunk M, Sothmann P, et al. Transmission of 2019-nCoV Infection from anAsymptomatic Contact in Germany. N Engl J Med 2020;382(10):970–971.doi:10.1056/NEJMc2001468.
    8. Meng L, Hua F, Bian Z. Coronavirus disease 2019 (COVID-19): emerging and futurechallenges for dental and oral medicine. J Dent Res 2020, 12:22034520914246
    9. Peng X, Xu X, Li Y, Cheng L, Zhou X, Ren B. Transmission routes of 2019-nCoV andcontrols in dental practice. Int J Oral Sci 2020, 12:9
    10. Laheij AM, Kistler JO, Belibasakis GN, Välimaa H, de Soet JJ; European OralMicrobiology Workshop (EOMW) 2011. Healthcare-associated viral and bacterialinfections in dentistry. J Oral Microbiol 2012, 4:10.3402/jom.v4i0.17659
    11. Sun H, Lau A, Heo YC, Lin L, Delong R, Fok A. Relationships between tissue propertiesand operational parameters of a dental handpiece during simulated cavitypreparation. J Dent Biomech 2013, 4:1758736013483747
    12. Tellier R, Li Y, Cowling BJ, Tang JW. Recognition of aerosol transmission of infectiousagents: a commentary. BMC Infect Dis 2019, 19(1):101
    13. Harrel SK, Molinari J. Aerosols and splatter in dentistry: a brief review of theliterature and infection control implications. J Am Dent Assoc 2004, 135(4):429-37

    14. Cleveland JL, Gray SK, Harte JA, Robison VA, Moorman AC, Gooch BF. Transmission of blood-borne pathogens in US dental health care settings: 2016 update. J Am Dent Assoc 2016, 147:729-738

    15. Wei J, Li Y. Airborne spread of infectious agents in the indoor environment. Am J Infect Control 2016, 44:S102-S108

    16. Yu IT, Li Y, Wong TW, Tam W, Chan AT, Lee JH, Leung DY, Ho T. Evidence of airborne transmission of the severe acute respiratory syndrome virus. N Engl J Med 2004, 350(17):1731-9

    17. To KK, Tsang OT, Chik-Yan Yip C, et al. Consistent detection of 2019 novel coronavirus in saliva. Clin Infect Dis 2020 pii: ciaa149, in press

    18. Wax RS, Christian MD. Practical recommendations for critical care and anesthesiology teams caring for novel coronavirus (2019-nCoV) patients. Can J Anaesth 2020, in press

    19. Association Dentaire Française (ADF), Commission des Dispositifs Médicaux. Grille technique d’évaluation pour la prévention des infections associées aux soins. 2015, Dossiers ADF.

    20. Kampf G, Todt D, Pfaender S, Steinmann E. Persistence of coronaviruses on inanimate surfaces and their inactivation with biocidal agents. J Hosp Infect 2020, 104 (3), 246- 251.

    21. Gamio L. The workers who face the greatest coronavirus risk. The New York Times, 15 mars 2020. Accessible sur :https://www.nytimes.com/interactive/2020/03/15/business/economy/coronavirus- worker-risk.html

    22. Rechenberg DK, Held U, Burgstaller JM, Bosch G, Attin T. Pain levels and typical symptoms of acute endodontic infections: a prospective, observational study. BMC Oral Health 2016, 16(1):61

    23. Emara RS, Abou El Nasr HM, El Boghdadi RM. Evaluation of postoperative pain intensity following occlusal reduction in teeth associated with symptomatic irreversible pulpitis and symptomatic apical periodontitis: a randomized clinical study. Int Endod J 2019, 52(3):288-96

    24. Patil N, Chan Y, Yan H. SARS and its effect on medical education in Hong Kong. Med Educ 2003, 37(12):1127-1128

    25. Wong JG, Cheung EP, Cheung V, et al. Psychological responses to the SARS outbreak in healthcare students in Hong Kong. Med Teach 2004, 26(7):657-659

    26. Direction Générale de la Santé (DGS). Guide de prévention des infections liées aux soins en chirurgie dentaire et en stomatologie. Deuxième édition, Juillet 2006

    27. Xu Y, Li X, Zhu B et al. Characteristics of pediatric SARS-CoV-2 infection and potential evidence for persistent fecal viral shedding. Nat Med 2020, https://doi.org/10.1038/s41591-020-0817-4

1 thoughts on “Recommandations face à l’épidémie Covid19

  1. Merci pour cette mise au point claire. J’attends avec impatience l’organisation de tour de garde avec distribution des dispositifs mentionnés dans l’article.J’assure qql heures de garde par jour pour les urgences de mon cabinet, avec le maximum de précautions .Je porte deux masques superposés pour couvrir plus de surface du visage et doubler l’épaisseur du masque devant la bouche.Mais je ne dispose pas de surblouses jetable ni de charlotte. Je passe aussi bcp de temps pour désinfecter les surfaces de travail entre chaque patient. J’ai vu une dizaine de personnes en trois jours. J’aurais pu être plus stricte pour caractériser l’urgence.Mais l’insistance des patients rend parfois le refus de soins difficile.Je vais être plus ferme à l’avenir. Confraternellement.Dr B.Gaillard

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